mercredi 8 mai 2013

L'entrevue / Manuele Fior


Le pitch


Dans l'Italie de 2048, Raniero s'enlise. Nostalgique, il s'attache à des objets et coutumes surannés : sa voiture est une parfaite antiquité, et sa relation avec Nadia, sa femme - qui d'ailleurs prévoit de le quitter bientôt - procède clairement des habitudes d'un autre âge. Le monde moderne est en effet enthousiasmé par la Nouvelle Convention, précepte de libération sentimentale et sexuelle qui abolit jalousie, possession, exclusivité amoureuse... Raniero peine dans son existence morose, jusqu'à ce qu'un accident, LA rencontre et l'apparition d'étranges lueurs viennent piqueter d'étoiles son ciel jusqu'alors bien morne. 






Avis

Récit d'anticipation ni ultra technique, ni brutalement politique, L'entrevue relève l'insensé pari d'une science-fiction parfaitement inattendue - le sentiment, l'humain, est le cœur, sensible et vivant, de ce récit d'exception. Le décor, à la fois futuriste et baigné des paysages et us & coutumes d'une Italie millénaire, construit une vraie vision - fantaisiste mais crédible - de ce que pourrait être, un jour, ce pays frondeur et parfumé.

Récit d'anticipation, certes... Mais surtout, récit d'une rencontre improbable et éclatante, histoire enivrante de deux êtres captifs.

Raniero ne pourra lutter longtemps contre la lumière de Dora. Il tente de contenir l'évidence de sa fascination, sa révélation, son désir ; il tente, bien sûr.

"Vous êtes très jeune", objecte l'homme, engoncé de craintes inutiles. 
"Non. C'est le monde qui est vieux. Et faux, stupide, et insensé, petit, borné, pauvre, malheureux, fatigué. Fini."

Puis, lorsque Dora discrètement se relève et enfile sa robe tissée de constellations, c'est l'univers entier qui l'enveloppe et remue au gré de ses pérégrinations. Amoureuse exceptionnelle, Dora devient, pour Raniero, pour le lecteur, le monde. Elle est l'univers. Absolue.
Magnifique.

L'Entrevue, récit d'une épiphanie, est tout aussi magnifique. L’excellence plastique de Manuele Fior, ses compositions hypnotiques, ses dialogues délicatement ciselés servent dans cet album splendide une émotion totale, lumineuse, et juste. 

Infos

Titre : L'entrevue
Auteur : Manuele Fior
Éditeur : Futuropolis
Parution : 05/04/2013
Pages : 173
Prix : 24 €
ISBN : 978-2-7548-0583-4

lundi 11 mars 2013

Sailor Twain ou la sirène dans l'Hudson / Mark Siegel

Le pitch


Fin XIXème siècle. Elijah Twain, commandant du Lorelei, fringant navire à vapeur, économise patiemment pour payer les soins nécessaires à Pearl, sa femme handicapée. Pointilleux, ponctuel, Twain mène son navire avec un soin jaloux, suivant le personnel et les machineries, observant les allées et venues des passagers. Un capitaine irréprochable... Jusqu'à ce qu'un soir, au couvert de la nuit, Twain recueille sur son pont ce qu'il croit être une jeune femme rescapée de la noyade. La créature rejetée par le fleuve Hudson se révélera autrement plus dangereuse, pour Twain comme tous ceux qui voyagent à son bord...




Avis

Sailor Twain est une bande dessinée-fleuve plastiquement très intéressante. Le découpage et les choix de mises en espace très théâtraux, couplés à l'expressivité d'un trait dense, intense, charbonneux, composent un univers ample, mouvementé - presque baroque.

L'ambiance "machine à vapeur" et l'aura fantastique de l'histoire valent en outre à Sailor Twain ou la sirène de l'Hudson d'être aimé et chroniqué des milieux steampunk. Si l'on s'en tient au strict terme littéraire, l'assimilation est un peu expresse, cette bande dessinée n'ayant aucun aspect prospectif ou uchronique. Le patronage reste cependant signifiant, mais découlerait (de l'humble avis du chroniqueur) davantage de l'esthétique générale du récit  - une certaine forme d'élégante noirceur et de nostalgie diffuse se dégagent en effet d'une narration tout en souplesse, s'écoulant en une patiente mélopée charriant amours et tragédies aux creux de ses vagues, entre eaux calmes et remous - narration en un sens fidèle à l'image  du fleuve qu'elle célèbre !

Sailor Twain séduit également par ses personnages et leurs déboires : Twain, dont le septicisme et la froide raison se verront confrontées aux forces profondes du fantastique ; Lafayette, l'intrigant et libertin passager français frayant galamment les coursives de la Lorelei en quête des mystérieux (et libidineux !) "sept amours" ; et la sublime Camomille, dont les yeux captivent autant (sinon davantage !) que le chant de la créature qu'elle pourchasse de sa plume...

Amis lecteurs, un bien agréable voyage vous attend sur la Lorelei... Prenez cependant garde aux sirènes et leurs chants trompeurs !

Infos

Titre : Sailor Twain ou la sirène dans l'Hudson
Auteur : Mark Siegel
Éditeur : Gallimard
Parution : 17/01/2013
Pages : 400
Prix : 23 €
ISBN : 9782070696178

samedi 2 mars 2013

Varulf T1 : La meute / Gwen de Bonneval, Hugo Piette

Le pitch

"Au Moyen-Âge, un village scandinave traverse une période sombre. Le mauvais temps détruit les récoltes et, la nuit, des animaux sauvages viennent massacrer les villageois, semant la terreur et l'incompréhension au sein de la population. Alors que les attaquent se multiplient, Gisli et les autres enfants du village se questionnent sur l'origine de cette folie meurtrière..." (résumé éditeur)





Avis

À vous qui aimez flâner sur les blogs de lecteurs chroniqueurs en quête de spoilers trahissant les secrets de séries en cours, passez votre chemin ! Impossible en effet de trop en dire au sujet de Varulf sans courir le risque de dévoiler ses inquiétantes arcanes... 

Aussi, pour connaître la vérité (glaçante !) sur cette bande de gamins simili-vikings et les exactions d'une meute de bestioles assassines... Lisez ! Le plaisir sera au rendez-vous.

En effet, Varulf est un très bon premier tome, qui marie à merveille le scénario fantastique bien dosé de Gwen de Bonneval (assez de révélations pour appâter durablement le lecteur avide de connaître le fin mot de l'histoire, et un timing exemplaire du teasing pour le laisser sur sa faim - joie perverse du scénariste, m'est avis !) et le dessin ouvert et dense de Piette - à base d'aplats et de cernes forts, sans débauche de nuances et effets de réalisme. Les scènes nocturnes, noires et bleues, sont particulièrement attirantes et servent à merveille l'ambiance du récit.  

Si le duo d'artiste semble a priori déroutant, force est de constater qu'il est en réalité plus que bienvenu : la fausse simplicité du graphisme oeuvre intelligemment à maîtriser les effets du scénario, permettant ainsi d'offrir, in fine, une bande dessinée aussi incongrue que parfaitement accessible et "prescriptible".

Une vraie pépite dans le corpus fantastique de la bande dessinée contemporaine (souvent très balisé), et un excellent titre, donc, de la collection Bayou... L'attente va être longue pour le tome 2 !!

Infos

Série : Varulf
Titre du Tome 1 : La meute
Scénario : Gwen de Bonneval, Hugo Piette
Dessin : Hugo Piette
Éditeur : Gallimard (coll. Bayou)
Parution : 10/01/2013
Pages : 96
Prix : 16, 50 €
ISBN : 9782070639830


dimanche 24 février 2013

Hilda et le géant de la nuit / Luke Pearson

Le pitch


Hilda et sa mère vivent paisiblement dans leur modeste chaumière, au creux de calmes vallées… Jusqu’à ce qu’une armée d’elfes aussi minuscules que territorialistes s’emploient à les faire déguerpir, jets de pierres, missives haineuses et dégâts collatéraux à l’appui. Forcée d’entrer en négociation avec les belliqueuses peuplades des provinces elfqiues du Nord, Hilda devra faire preuve de toute son éloquence pour pouvoir rester chez elle... 




Avis



Une belle découverte, et un vrai coup de  coeur pour cette série de pure fantasy, entière, fraîche, drôle et décomplexée, terriblement efficace. Personnages, couleurs, découpage, tout est ici au service d’un récit délicieux, dont se dégage une poésie de l’étrange qui n’est pas sans rappeler les frasques d’un certain Hayao Miyazaki…. 

À lire absolument ! (Dès 7 ans)

Les albums de la série (trois parus actuellement : Hilda et le troll, Hilda et le géant de la nuit, Hilda et la parade des oiseaux) sont maquettés et fabriqués avec grand soin, et de fait plaisants à manipuler, comme le le montre cette image (source : Nobrow http://www.nobrow.net/6799) :



Les couvertures des autres tomes :



Infos

Titre : Hilda et le géant de la nuit
Parution : 01/12/2011
Éditions : Nobrow
ISBN : 978-1-907704-36-9
Prix : 14.80 €
Pages : 48


dimanche 10 février 2013

L'Épouvanteur T 9 : Grimalkin et l'épouvanteur / Joseph Delaney


Le pitch


John Gregory, Alice et Tom sont de retour à Chipenden après avoir dûment décapité puis entravé le corps de leur ennemi mortel - nul autre que le Malin en personne ! Un tel traitement aurait été fatal, cela va sans dire, à bien d'autres, mais il s'agit ici du diable lui-même - qui se retrouve, au début de ce neuvième tome de l'Épouvanteur en fort fâcheuse posture. Ses partisans cherchent le moyen de réunir le corps et la tête de leur maître, afin de lui rendre sa puissance. Or, le chef si convoité n'est pas détenu par Tom Ward et consorts ; non : la tâche de dissimuler le funeste fardeau est confié à la sanguinaire Grimalkin, sorcière tueuse du clan Malkin. Saura-t-elle tromper la vigilance de ses poursuivants ? 






Avis


On ne change pas une équipe qui gagne : Joseph Delaney, si.



Huit tomes durant, l'auteur nous a offert son récit vu par les yeux de Tom Ward, l'apprenti épouvanteur ; et le lecteur suivait avec tendresse (et franche trouille) les péripéties telles que transcrites par un gamin qui doit, bien malgré lui, se montrer brave face à "l'obscur". Au fil du temps, on se sent bien dans la peau du petit anglais, on se dégrossit avec lui, on adopte ses réflexes face aux dangers, ses timidités face aux charmes d'une certaine jeune sorcière. Thomas Ward devient, à l'instar d'autres héros, un petit prolongement de nous-même dans lequel il est confortable, sinon douillet, de se glisser à chaque nouveau tome pour reprendre sa double vie de préado épouvanteur promis à un destin d'exception.

Le lecteur de série passe pour un animal d'habitudes - c'est en tous cas mon cas. L'attente que je nourrissais, en ouvrant le neuvième tome de la série, était ainsi bien simple : retrouver la peau de ce bon vieux Tom, et parcourir avec lui les quelques miles qui m'amèneraient un peu plus près du mystère de la pierre des Ward, annoncée en exergue dès le tome 1. 

Or, voilà que Joseph Delaney change brutalement de cap et relègue en deux lignes le petit Tom au placard, pour livrer la narration à un autre personnage, à savoir Grimalkin, l'une des figures les plus impressionnantes du casting de déséquilibrés qui entourent Tom Ward. 

Trahir sans vergogne les attentes de son lectorat reste un pari risqué, si l'on considère le nombre de jeunes (et moins jeunes) fans éperdus attendant la suite des aventures de leur Tom chéri, et l'enracinement très particulier, j'ose le croire, des habitudes de lecture pour un suiveur de cycle. Pari pas plus suicidaire, me direz-vous à raison, que la tendance de Gerorge R. R. Martin à trucider allègrement des personnages principaux, sans ménager le moins du monde son paisible lecteur, mais enfin, pari un peu fou tout de même.

Et donc, ce pari du passage de flambeau narratif, Delaney l'a-t-il relevé avec brio ? 



S'il s'avère je ne peux décemment pas faire un sort trop sévère au roman - au temps pour le sadisme fiérot du chroniqueur ! - qui n'est pas mauvais, inintéressant, ni vraiment "gadget" par rapport au reste de la série, comme cet inattendu changement de narrateur le laissait présager, je n'irai pas pour autant m'enthousiasmer. En effet, ce qui gêne, dans ce Grimalkin et l'épouvanteur, (traduction d'ailleurs simplette du fringant "I am Grimalkin") c'est qu'en étant à présent autorisé à pénétrer l'esprit de Grimalkin, à voir par ses yeux, à suivre ses raisonnements comme ses pérégrinations, sentir les palpitations de son coeur et renifler les rémugles de sa chair, elle n'a de fait plus de secret pour nous. Ce personnage, jusqu'ici si fascinant, se voit comme défloré : les mystères qu'étaient le passé, les motivations et la psyché de cette tortionnaire psychopathe, qu'on se fustige d'admirer, sont brutalement dévoilés, dans un grand mouvement dont, dans ma légendaire sensiblerie, je déplore l'obscénité. Qui pourrait m'en blâmer ? Il n'est plus possible, aujourd'hui, d'imaginer les formes de Grimalkin sous son costume de cuir couvert de couteaux prestes à trancher les pouces ; l'auteur, en promouvant la tueuse narratrice, la livre nue à son public. Aimable de sa part ? En fait, non. Joseph Delaney pèche par trop de générosité.



Aussi, sur cette amère fin de chronique, je vais m'en aller pleurer plus loin la perte des fantasmes qui me restaient à nourrir sur les charmes obscurs d'une sorcière sadique assoiffée de torture. Snif.



Infos

Titre : Grimalkin et l'épouvanteur (T 9)
Editions : Bayard jeunesse
Parution : 24 janvier 2013
ISBN : 978-2-7470-4501-8
Nb de pages : 315
Prix : 13€50

mercredi 2 janvier 2013

Les annales de la Compagnie Noire T1 / Glen Cook


Le pitch

Peuplée de guerriers et de mages, la Compagnie noire est une troupe de mercenaires qui offre son appui (sanglant, cela va sans dire) à qui la dédommagera en espèces sonnantes et trébuchantes. Les faits d'armes, victoires comme défaites, les doutes et les écueils de ces combattants sont, par tradition séculaire, consignés par écrit dans de précieuses annales. La responsabilité de ces récits de mémoire - les annales ont pour but principal de permettre aux noms des compagnons morts de ne pas être oubliés - échoit, dans les premiers tomes du cycle, au médecin de la clique : Toubib. Sa plume permet au lecteur de vivre au plus près de la sombre compagnie...





Avis

La Compagnie Noire est traditionnellement classée dans le sous-genre "dark fantasy", vocable qui regroupe les récits de fantasy aux univers et tons particulièrement sombres. Point de héros aux valeurs morales étincelantes se battant contre des ennemis irrécupérables qui passent pour autant d'incarnations du Mal : en dark fantasy, les personnages sont des hommes, ni plus ni moins, et de quel côté que se place le narrateur, la cruauté peut faire rage, comme, plus rarement, la pitié se manifester. Si la Compagnie Noire - tout comme le Trône de fer, ou les Chroniques de Thomas Covenant - offre en effet force scène de massacres et innombrables vilenies, trahisons et de bons litres d'hémoglobine, elle a l'avantage de pas céder un pouce au traditionnel manichéisme de la fantasy épique (friande elle aussi d'épées tranchantes et de boyaux à l'air, soit dit en passant). C'est bien là une des forces de cette fantasy "noire", sans foi ni loi ni vergogne : ses combattants ne sont pas tout d'un bloc, et leurs failles sont tout aussi (et plus !) dignes d'intérêts que leurs fiers serments.

Vous l'avez compris, votre fugu favori est friand de dark fantasy (ainsi que d'allitérations plutôt faciles). Mais cela n'explique pas - ou en tous cas pas totalement - l'avis favorable donné ici au premier tome des Annales. Sa force véritable réside en effet dans son mode de narration très particulier, véritable journal de bord fait de phrases courtes et tranchantes  d'avis lapidaires, de faits additionnés, presque lâchés. 

Ne vous attendez pas ainsi à débuter en douceur dans l'univers de Glen Cook : point de chapitre (voir même de paragraphe !) introductif, point d'explications, d’amples descriptions des lieux,  pas la moindre petite ébauche de généalogie ou ombre d'historique pratique.  À croire que l'expression "in media res" a été créée tout spécialement pour la Compagnie Noire ! Cette narration tonique et sans fards n'offre pas, loin s'en faut, le confort de lecture d'un Tolkien ou d'un Martin ; le récit cependant, ne laisse pas de piquer la curiosité et happer l'imagination : on s’accroche à la plume de Toubib, et on s'y accroche bien. Certains compagnonnages sont de plus tout à fait savoureux : mystérieuse Dame propre à vous glacer les sangs, sorciers plutôt crétins qui chamaillent à coups de sortilèges grandiloquents, Corbeau, et bien sûr, Toubib... Du beau monde que cela ! 

Une saga à part, donc, qui gagne à être découverte. 

Pour finir, le chroniqueur reconnaissant note le choix parfait de Didier Graffet pour les illustrations de La Compagnie Noire. Lors de la table ronde dédiée, en 2011 aux Utopiales, Glen Cook affirmait d'ailleurs voir en Didier Graffet le meilleur illustrateur de ses récits. Force est d'en convenir également ! Un petit lien pour vous, donc : http://www.didiergraffet.com/

Infos

Titre du cycle : Les annales de la Compagnie Noire
Titre du premier volume : La Compagnie Noire
Auteur : Glen Cook

Version grand format :
Éditeur : L'Atalante (collection La Dentelle du Cygne))
Parution : 22/05/1998
ISBN : 2-84172-074-8
Prix : 17 €
Pages : 360

Version poche :
Éditeur : J'ai Lu
Parution : 25/11/2004
ISBN : 2-290-33058-2
Prix : 7.80 €
Pages : 379